Nous entendons de plus en plus évoquer l’importance de l’intuition en tant que facteur clé de succès pour les dirigeants et managers, notamment dans la prise de décision rapide :
En 2010, sur 93 Prix Nobel de Sciences interrogés sur les facteurs clés de leur succès, 82 mentionnaient l’intuition !
Elon Musk, Richard Branson, Tim Cook, le PDG d’Apple ou encore Steve Jobs ont reconnu faire davantage confiance à leur intuition qu’à leur raisonnement.
Un nombre croissant de coachs et d’organismes de formations proposent de développer cette capacité en entreprise.
Alors, l’intuition est-elle la nouvelle capacité à développer pour tout dirigeant ou manager ? Les chercheurs sont-ils d’accord avec les leaders précédemment cités ? Et d’abord, qu’est-ce que l’intuition ?
1. L’intuition, pouvoir caché du leader ?
Selon le Larousse, l’intuition est la « connaissance directe, immédiate de la vérité, sans recours au raisonnement, à l’expérience ».
Par l’intuition nous sommes donc capables d’accéder à l’information sans passer par le raisonnement.
Rappelons, à ce stade, que 90% à 95% des informations captées, en permanence, par notre cerveau, sont traitées au niveau inconscient.
L’intuition est donc une connaissance spontanée, qui peut se manifester par un ressenti physique, par les rêves, ou sous la forme d’une idée ou certitude dont on ne sait identifier l’origine.
Cette capacité est accessible à chacun de nous. Pourtant, nous avons tous fait l’expérience de décisions prises alors qu’elles étaient clairement inadaptées, soit par manque d’écoute de notre intuition, soit pour avoir écouté une voix que nous avons prise pour une intuition, et qui nous éloignait en réalité de cet espace.
Et en effet, une grande difficulté réside dans le discernement entre la véritable intuition et la voix du mental, la première émanant de l’inconscient alors que la seconde se construit dans notre tête, nous faisant souvent prendre des vessies pour des lanternes.
2. Témoignage d’Afghanistan : Sauvés en mission par une intuition
C’est après avoir quitté l’armée que je me suis intéressé à l’intuition.
Surnommé Baraka par mes équipes des Forces Spéciales, j’avais longtemps considéré que j’avais « une bonne étoile ».
C’est face aux grandes différences culturelles que je découvrais en démarrant une nouvelle aventure professionnelle en entreprises, que s’est développée en moi l’envie de comprendre les mécanismes inconscients qui m’avaient tant aidé durant mon parcours militaire.
J’aurais bien des exemples de situations au cours desquelles j’ai (ré)agi dans l’instant en opérations, suivant, sans même y réfléchir, un élan qui nous a permis de nous tirer de contextes très dégradés.
Mon souvenir le plus probant d’avoir agi par intuition s’est déroulé fin 2001, en Afghanistan. Nous circulions en colonne de véhicules et j’étais assis à côté du conducteur du premier 4X4 lorsque j’ai crié « Contact avant ! » tout en tournant brusquement le volant vers la droite, arrachant littéralement celui-ci des mains du conducteur. Au même moment, une roquette frôlait notre véhicule, qui aurait explosé si nous n’avions pas changé instantanément de trajectoire.
Chacun de nous savait qu’il s’était passé quelque chose que notre cerveau rationnel ne pouvait expliquer. En effet, compte tenu de la position du tireur et de la vitesse de propulsion de l’engin explosif, nous n’aurions pu éviter la roquette, même si nous avions aperçu le départ du tir …
En outre, aucune pensée préalable ne m’avait conduit à cette réaction.
Alors, quel déclencheur m’avait soudainement et intuitivement poussé à cela ? Piloté par mon instinct de préservation, j’avais agi de manière spontanée et non consciente.
De nombreux récits de rescapés de guerre ou d’accidents de transport expliquent leur réaction selon un mécanisme similaire.
3. Le prix Nobel, « ennemi » de l’intuition : les travaux de Kahneman
Daniel Kahneman (psychologue et prix Nobel d’Économie 2011) et Amos Tversky, inventeurs de la théorie des processus duaux (1) font figure de démystificateurs de l’intuition. Leur théorie distingue, en effet, deux manières de raisonner, souvent décrites sous la forme de deux « systèmes » :
Système 1 (« intuitif ») : les processus rapides, automatiques, involontaires, intuitifs et demandant peu d’effort. Il est utilisé par défaut, car il est le moins coûteux en énergie. Il performe particulièrement en environnement connu. C’est également lui qui serait à l’origine de la créativité, grâce aux multiples associations intuitives qu’il effectue.
Système 2 (« analytique ») : les processus lents, délibérés, analytiques et nécessitant une certaine dose de concentration et d’attention de la part de l’individu. Il s’agit du système vulgairement associé à la faculté de pensée. Il est plus lent que le système 1 et intervient lorsque le système 1 est confronté à un problème nouveau auquel il ne sait pas répondre.
Le fonctionnement des deux systèmes :
Selon ces deux chercheurs, le système 1 a tendance à tirer des conclusions hâtives et ne rend pas compte de la plurivocité de certaines informations, il est crédule et considère comme vraie toute information nouvelle, recherchant toujours des éléments qui viennent étayer sa vision du monde et conforter la cohérence de ce qu’il sait ou croit savoir.
Le système 2, quant à lui, serait suspicieux, à condition qu’il ne soit pas occupé à d’autres tâches, qu’il ne soit épuisé ou simplement paresseux ; dans ces cas, l’individu suivra la pente naturelle de son système 1.
Pour Kahneman et Tversky, la majorité des erreurs que nous faisons proviendraient de notre « Système 1 ». Nous aurions alors besoin de notre Système 2 pour les corriger et fournir une réponse logico-mathématique.
4. A la racine de bien des erreurs : les biais de raisonnement
On peut définir un biais cognitif comme une déviation systématique de la pensée logique et rationnelle. Lorsque nous raisonnons, il est fréquent que notre cerveau emprunte des « raccourcis » de pensée. La plupart du temps ces raccourcis nous sont très utiles car ils nous permettent de raisonner correctement de manière rapide, sans devoir engager un effort cognitif trop important. Mais dans certains contextes particuliers, ces raccourcis n’empruntent pas la voie de la logique, et des biais cognitifs peuvent alors apparaître.
Par exemple, le biais de confirmation d’hypothèse (préférer les éléments qui confirment plutôt que ceux qui infirment une hypothèse), le biais de représentativité (considérer un ou certains éléments comme représentatifs d’une population) ou le biais de disponibilité (ne pas chercher d’autres informations que celles immédiatement disponibles).
Pensez à la dernière fois où ils se sont exprimés dans des délibérations ou des prises de décision en entreprise.
5. « Débiaiser » : mieux raisonner pour améliorer son intuition
La bonne nouvelle est que nous pouvons aider notre cerveau à « débiaiser », comme le montrent des études récentes menées en France par Nina Franiatte & Wim De Neys à la LaPsyDÉ (2) travaux co-financés par le Groupe OnePoint (3)
Cette vue dans laquelle l’intuition serait cause d’erreurs et devrait être corrigée par la délibération est appelée la « vue corrective du raisonnement humain ».
Pour ma part, je crois essentiel pour tout dirigeant et manager, d’élargir son ouverture d’esprit, sa curiosité intellectuelle et sa capacité de remise en question de ses croyances, en se souvenant à chaque instant que la carte n’est pas le territoire et que nous avons chacun la nôtre.
Sans nous couper de notre intuition, ces différents travaux nous invitent à nous appuyer également sur notre capacité analytique pour rechercher ce qui infirme notre hypothèse intuitive plutôt que ce qui la confirme.
« C’est avec la logique que nous prouvons,
et avec l’intuition que nous trouvons ».
Henri Poincaré
En conclusion :
Je constate que les leaders les plus visionnaires et les plus créatifs utilisent toute la palette de leurs sens. Pour prendre une décision, particulièrement lorsque le temps nous manque, il est toujours utile de suivre son intuition. Mais il importe d’apprendre à discerner entre pensée et intuition, afin de ne pas se laisser bercer par les illusions que notre mental construit si facilement.
Ma démarche de coach de vos équipes tend vers l’épanouissement des personnes et des organisations dans leur globalité. Je reste à votre disposition pour cheminer ensemble sur la voie enrichissante de la réconciliation de l’humain et la performance.
Voici 10 “tips” pour booster les 2 systèmes de fonctionnement de notre cerveau :
Améliorer son Système 1 : écouter son intuition
⇒ Ne pas écarter les pensées fugaces
⇒ Ecouter son corps et ses émotions
⇒ Se ménager des temps de silence et de repos
⇒ Apprendre à se relaxer
⇒ Cultiver le silence
Améliorer son Système 2 : le raisonnement
⇒ « Débiaiser » : débusquer ses biais de raisonnement
⇒ Affiner l’évaluation des informations
⇒ Etre conscient de ses croyances
⇒ Pratiquer le RETEX (retour d’expérience) comme dans les Unités Spéciales
⇒ Renforcer l’écoute de l’environnement et de ses collaborateurs
Olivier Crosetta
Fondateur de Synergies & Co, ancien Officier, conférencier, intervenant en grandes écoles (HEC, École Polytechnique)
Sources :
(1) https://www.lesaffaires.com/strategie-d-entreprise/management/quand-peut-on-se-fier-a-son-intuition-/521078
(2) https://www.le21dulapsyde.com/post/dire-adieu-%C3%A0-nos-biais-apprendre-de-nos-erreurs-en-vid%C3%A9o
(3) https://www.groupeonepoint.com/fr/nos-publications/logique-et-raisonnement-nos-intuitions-face-aux-biais-cognitifs/