Qu’est-ce qui pousse tant de dirigeants d’entreprises à solliciter d’anciens militaires, et quelles sont les raisons pour lesquelles d’anciens militaires font de bons conférenciers en entreprise, comme les généraux Stanley McChrystal ou Pierre de Villiers, pour reprendre deux exemples emblématiques ?
Outre le fait qu’ils apportent un regard neuf, partant d’un univers décalé, les militaires ont acquis, par l’expérience, des qualités propres à dynamiser les collaborateurs d’une entreprise : l’importance de l’humain, le travail en équipe, la prise de risque mesurée, la connaissance de soi et de ses limites, le leadership, et le sens.
L’écrivain Richard Millet, qui a participé à la guerre du Liban, disait que si l’être humain n’a pas besoin de cela pour se révéler ce qu’il est, la guerre est une sorte d’accélérateur de la connaissance de soi. Tous les militaires n’ont pas fait la guerre stricto sensu, mais tous s’y sont préparés.
Or, cette préparation au combat, qui est au cœur de la raison d’être d’un soldat, le place dans une semblable disposition de corps et d’esprit : mettre son énergie et son talent individuel au service du projet collectif, afin de remplir la mission tout en rentrant sain et sauf avec son groupe.
Pour cela, le militaire s’habitue à repousser ses limites, à endurer des choses théoriquement inacceptables, à composer avec des situations dangereuses en faisant tout pour s’en sortir, en équipe. Le chef apprend à s’appuyer sur la complémentarité de ses équipiers, à les entraîner, à renforcer la confiance, à garantir la cohésion pour soutenir ceux qui en ont besoin, à varier les tactiques pour s’adapter à l’évolution de l’environnement et, plus que tout, à donner du sens à son action.
Dans cette perspective, l’armée est une bonne école. Une école de la vie. C’est ce qui donne aux hommes et aux femmes qui en ont fait l’expérience une certaine légitimité pour parler devant des collaborateurs d’entreprises civiles. Cela ne suffit pas à rendre légitimes tous ceux qui sont passés par l’armée, mais vient corroborer les propos de Mathieu Aboudaram sur les conférenciers militaires en entreprise.
Je n’ai pas décrété que je serais conférencier d’entreprise au sortir de l’armée
Conférenciers en entreprise : une nouvelle opportunité ?
En toute chose, sachons raison garder, il ne suffit pas d’avoir eu une expérience militaire pour s’improviser conférencier ou coach d’entreprise. Raconter ses campagnes devant un parterre de salariés est une chose ; tirer de cette expérience des clés pour accompagner des équipes à se dépasser et à performer, en est une autre. Comme pour tout, c’est un métier qui s’apprend. Je n’ai pas décrété que je serais conférencier d’entreprise au sortir de l’armée.
C’est au fil de mes expériences de management en entreprise que j’ai compris combien mon parcours précédent m’aidait à motiver et à accompagner vers le succès mes équipes. Pour cela, j’ai travaillé, cherchant à synthétiser et à rendre compréhensibles les clés de mon expérience militaire.
Par la suite je me suis formé. Et chaque conférence en entreprise donne invariablement lieu à une minutieuse préparation, pour que mon propos touche l’auditoire par les liens qu’il établit avec leurs situations et leur contexte.
Ce que l’on demande à un conférencier en entreprise, c’est d’apporter un souffle nouveau aux équipes
Les qualités d’un conférencier
Ce que l’on demande à un conférencier en entreprise, c’est d’ouvrir les regards, d’inspirer, de motiver et d’apporter un souffle nouveau aux équipes. C’est une chose que j’ai progressivement développée car je ne suis pas certain d’avoir en moi une âme de leader. Il m’aura fallu apprendre, de mes succès comme de mes échecs, remettre en question mes croyances, et assouplir le carcan rigide dans lequel le jeune officier que j’étais s’était enfermé.
Quelles sont les qualités d’un leader, et par quels leviers parviendra-t-il à persuader un groupe de le suivre au cœur de l’incertitude ? Ce n’est pas ici le lieu de développer ces compétences, mais je dois reconnaître que l’armée m’a offert le cadre pour me former à cela. C’est grâce à cela que le jeune officier de légion, si exigeant envers lui et les autres, a progressivement laissé émerger l’officier supérieur reconnu dans les forces spéciales.
Être conférencier nécessite sans doute du leadership, pour donner envie de nous suivre sur les chemins détournés que nous proposons. Cela me ramène encore à mon expérience de leader en opérations : partager les risques, se montrer authentique, renforcer la confiance au sein de l’équipe pour que l’équipe devienne LE facteur-clé du succès, enfin, placer au-dessus de tout le sens de ses actions.
L’armée a été pour moi une très bonne école de la vie. J’y ai appris le respect de soi et de l’autre, j’y ai expérimenté la richesse et la puissance du collectif
Le sens est la condition sine qua non
Au cours de sa carrière, un militaire va rencontrer, à de nombreuses reprises, des situations à risque. Bien sûr, le contexte de ces situations et l’enjeu de vie ou de mort est différent de ce que vivent, normalement, la plupart des entreprises.
Mais l’incertitude, la complexité d’un monde en mutation rapide et profonde, la dureté du contexte économique, la nécessité de faire collaborer efficacement les équipes pour garantir le succès de la mission et la survie de l’entreprise, sont finalement bien plus proches de l’environnement militaire qu’on l’imagine souvent.
La guerre ne se mène pas seul. Il faut des équipes engagées, du soutien en back office, de la logistique, de l’informatique … Tous y sont appelés à donner le meilleur d’eux-mêmes, en complémentarité avec les autres, chacun avec ses forces et ses limites. Et ce qui leur donne envie de suivre leur chef est toujours la question du sens, qui les amènera à le suivre parce qu’ils le veulent, et non parce qu’ils le doivent.
Ma pratique de l’accompagnement des entreprises m’a montré combien cette question demeure au cœur de l’efficience de toute organisation ; et je constate régulièrement un phénomène courant de dilution du sens, au fil du temps et des échelons hiérarchiques, invitant à rappeler sans relâche la finalité des actions engagées.
L’armée a été pour moi une très bonne école de la vie. J’y ai appris le respect de soi et de l’autre, j’y ai expérimenté la richesse et la puissance du collectif, y compris en situation d’infériorité numérique. C’est là que j’ai compris qu’il n’y avait aucune fatalité à ne pas collaborer efficacement ensemble. C’est tout ce sur quoi je m’appuie pour le partager avec humilité en tant que conférencier, pour des moments de rencontre sans cesse renouvelée.